Le Dernier Marquis de Maussabré, Un Personnage à Plusieurs Facettes.

Le dernier Marquis de Maussabré est connu pour son poste de maire de Saint-Loup-sur-Thouet et son statut de propriétaire terrien . Son important rôle chez Dior est tombé dans l’oubli . Si on lui doit la destruction du château de Soulièvres on lui doit aussi la restauration du château de Saint-Loup. Continue reading

Marie, Louis, Gilbert, Robert de MAUSSABRÉ-BEUFVIER naît le 31 août 1903 au domicile parisien de la famille. Il a déjà une sœur : Gilberte (1901-1983) et un frère : François (1902-1937).

La famille de Maussabré est une vieille famille aristocratique originaire du Blaisois et de Touraine. Elle arrive dans la région au château de la Tour de Chatillon à Boussais. L’installation de la famille De Maussabré au château de Soulièvres n’intervient qu’ en 1803 avec le mariage de Charles de Maussabré avec Séraphine de Liniers. En 1848, Adalbert de Maussabré, fils de Charles, décide de détruire l’ancien château et de le remplacer par une construction imposante qui verra le jour en 1851. A cette même date sont édifiés la chapelle et le pavillon de chasse dans l’enceinte du parc du château.

Le château de Saint-Loup-sur-Thouet fût acquit en 1894 par Charles de Maussabré, fils d’Adalbert et grand-père du dernier marquis. Il devint la résidence de la famille. Jusqu’à la guerre 1939-1945, les propriétaires occupent le château de Soulièvres au moins durant les mois d’été.

Le père de Robert de Mauusabré, également prénommé Robert (29/12/1864-27/02/1946) est un ancien élève de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Officier de cavalerie il quitte l’armée en 1897. Devenu député des Deux-Sèvres de 1898 à 1906, il siège à droite avec les monarchistes ainsi qu’au sein du groupe antijuif. Elu au second tour député de Parthenay en 1898 contre M. Lebon et il fut réélu en 1902, de nouveau contre M. Lebon. En revanche, les élections de 1906 ne lui furent pas favorables. Il fut en effet battu par le radical Demellier. Cet échec mit fin à sa carrière politique.

Le marquis de Maussabré se lança alors dans l’activité laitière en créant à partir de 1899 un groupe de laiteries : « Laiteries du Bocage Gâtinais » dont le siège social se trouvait à Parthenay, 12 avenue Victor-Hugo, où s’implantèrent plus tard les établissements Panzani. Mais les laiteries du marquis de Maussabré fermèrent rapidement leurs portes à l’exception de celle de Secondigny qui rejoignit un groupe industriel en 1961. La laiterie de La Viette fut l’une de celles-ci et, si le site de la laiterie de La Viette est définitivement fermé depuis le 25 novembre 2022, il reste le séquoia planté par le marquis de Maussabré.

On ne sait que peu de choses sur l’éducation et la vie professionnelle de Robert de Maussabré avant guerre. Il est nommé par arrêté préfectoral du 3 mai 1944 en qualité de Délégué Spécial Extraordinaire pour assurer l’administration de la commune de Saint Loup sur Thouet en remplacement de la délégation spéciale. A Saint-Loup, La période de l’occupation est très compliquée. D’’abord avec la démission le 16 juin 1940 du maire M Besseron, malade. Remplacé le 01 septembre 1940 par M. Laurendeau (ex 1ier adjoint), celui-ci démissionne en avril 1941. Le docteur Daniel Bouchet, à la tête d’une délégation spéciale nommée par le préfet, va assurer la gestion de la commune jusqu’à sa première arrestation (Il sera de nouveau arrêté le 9 août 1944 et condamné à mort, avant sa déportation en Allemagne). M Léau est alors nommé maire par intérim de mai 1943 à mai 1944.

L’Elu Local.

Le préfet de la libération, René Hudeley, confirme Robert de Maussabré au poste de maire de Saint loup le 5 septembre 1944 (alors que le département n’est libéré que depuis le 03 septembre). Après la nomination par le préfet des autres membres du conseil municipal, il est élu maire le 27 octobre 1944 et sera ensuite régulièrement réélu jusqu’aux élections municipales de mars 1965, auxquelles il ne se représente pas. Malade, il est absent du conseil municipal à partir de novembre 1964, jusqu’à la fin de son mandat le 27 mars 1965. Il subit une très grave opération en novembre 1964 et décède le 20 juin 1965.

Pendant tous ses mandats il abandonne son indemnité de maire au profit de l’hospice de Saint Loup, devenu la maison de retraite. En 1964, il ne perçoit que 500 Francs au lieu des 2530 F auxquels il peut prétendre. Pendant ces vingt années de mandature ses principales réalisations concernèrent l’assainissement et l’aménagement du bourg, la création et l’agrandissement de la salle des fêtes, la création de la cantine scolaire et le développement de la maison de retraite. Cette facette d’élu local est certainement la plus connue de la population locale, même si elle avait peu l’occasion de le rencontrer. Il ne venait que pour des courts séjours dans sa commune et consacrait une grande partie de son temps à l’entretien de son château et à la gestion de ses propriétés.

Le Propriétaire Terrien.

La seconde facette est également connue dans la région, c’est celle du grand propriétaire terrien et du propriétaire des châteaux de Soulièvres et de Saint-Loup-sur-Thouet. Au décès de son père en 1946, il hérite avec sa sœur des propriétés familiales, son frère étant décédé en 1937.

La famille de Maussabré possédait cent fermes au temps de sa splendeur, c’est-à-dire avant les déboires financiers au niveau des laiteries et avant la cession de certaines pour payer les voyages et les fêtes dispendieuses de son frère François. D’après les témoignages de ses anciens fermiers où de leurs enfants qui ont connu Monsieur le Marquis, comme l’appelaient ses fermiers, il venait les rencontrer une ou deux fois par an. Pour ces visites il était accompagné de son régisseur M. Marteau, puis M. Marolleau et il avait toujours de vieux habits, un pardessus élimé ou déchiré et un béret défoncé par où sortait une mèche de cheveux. Il ne venait jamais à l’improviste chez ses fermiers, qui étaient toujours avertis par le régisseur, car il voulait voir toute la famille. Ses questions étaient toujours les mêmes : La récolte a été bonne ? Vous avez engrangé ? Il s’intéressait aux nouveautés sur l’exploitation et s’était fait expliquer le fonctionnement de la planteuse à betteraves par exemple. Lors de ses visites les fermiers lui offraient un petit paquet avec des fromages, des fruits ou des châtaignes qu’il appréciait particulièrement.

Mais, les fermes étaient mal entretenues et les travaux faits au strict minimum. Son accoutrement avait pour but de dissuader les fermiers de lui demander des travaux. Pour le moulin de Soulièvres, il s’y déplaçait trois à quatre fois dans l’année ainsi que la comtesse. Mais le responsable du moulin, qui avait la responsabilité de deux salariés et dont le salaire était calculé en fonction des résultats, emmenait la comptabilité au château de Saint-Loup où il était reçu par le marquis dans son bureau. Toutefois les deux principales propriétés foncières sont les deux châteaux. Celui de Soulièvres voit arriver en 1939 le ministère du Travail qui s’y installe avec la Caisse de Compensation des Assurances Sociales. Puis à partir de 1940, des unités allemandes l’occupent, à plusieurs reprises ; elles commettent de nombreuses déprédations, brisent, brulent, volent les meubles et vandalisent l’ensemble. Après la Libération, jusqu’en septembre 1945, plusieurs unités F.F.I. y stationnent.

Le Château de Saint-Loup-sur-Thouet

Le château de Saint-Loup-sur-Thouet est la résidence de la famille. Celle-ci dû d’ailleurs cohabiter avec l’occupant allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. La demeure est alors pillée et sérieusement endommagée. Les dommages de guerre tant pour le château de Soulièvres, que pour celui de Saint-Loup se révélèrent très insuffisants pour restaurer les deux édifices. Aussi le marquis Robert de Maussabré obtint-il le report des dommages de guerre du château de Soulièvres sur celui de Saint-Loup, mais à la condition de détruire celui de Soulièvres. En 1955 commencèrent les travaux de restauration du château de Saint-Loup et celui de Soulièvres fut détruit le 6 avril 1955, ce qui fit grand bruit dans la région, tant au sens propre qu’au sens figuré, comme en témoigne les articles parus dans la presse locale.

La chapelle devait également être dynamitée, aussi on déplaça les sépultures et les deux urnes de cœur qui se trouvaient dans la chapelle dans un nouveau caveau au cimetière de Saint-Loup. Une partie de la pierre du château de Soulièvres a servi en 1955 à faire la déviation de Saint Loup. Robert de Maussabré s’employa avec beaucoup de soin et un goût très éclairé à remettre en état le château Saint-Loup qu’il appréciait beaucoup ainsi que son parc, avec une faiblesse pour le cèdre rouge. Il a fait refaire par exemple le carrelage de l’aile droite en 1962, mais les travaux étaient compliqués pour l’entreprise qui devait attendre dans la cour le matin que le marquis se lève, pas avant 8h30, pour recevoir ses ordres, de la fenêtre de sa chambre à l’étage. Les toilettes de l’entrée étaient condamnées pendant les travaux et le personnel du château utilisait les mêmes que le marquis, ce qui le gênait. Il avait un couple à son service pour l’entretien du château ainsi qu’un valet de chambre et une cuisinière. Il mobilisait souvent lors de ses séjours le fermier du château pour jeter un œil à l’entretien des arbres et à leur taille, ou à la taille des allées ou à l’enlèvement des nénuphars des douves. Il ne voulait jamais payer ces travaux, qui faisaient ensuite l’objet d’un arrangement avec le régisseur. Il tenait aussi à son rang et le cordonnier de Saint Loup en a fait les frais. Il était toujours salué par le marquis d’un : « Bonjour Voyer » et répondait par « Bonjour M. le marquis ». Un été il avait un cousin parisien qui avait remarqué cela et il lui avait dit que le lendemain il lui répondrait « Bonjour Maussabré ». Ce qu’il fit, mais le cordonnier ne répara plus jamais les chaussures du marquis. Propriétaire exigeant, il a su entretenir et remettre en état sa résidence du château de Saint-Loup, alors que les dépenses pour ses fermes étaient très parcimonieuses.

Le Collaborateur de Dior

La troisième facette, la moins connue, est la vie professionnelle de Robert de Maussabré. ChristianDior créé sa maison de couture en 1946, 30 avenue Montaigne à Paris. Il s’entoure d’abord de ses amis granvillais, Suzanne Luling pour diriger les salons, la vente et la communication et Serge Heftler-Louiche, comme directeur des parfums Dior. Il embauche également l’américain Harrisson Elliot pour diriger le service de presse. C’est à lui que va succéder Robert de Maussabré en 1947. Comment a-t-il été recruté ? Cela reste un mystère, mais « Dior a un faible pour les noms à rallonge » (Marie-France Pochna dans sa biographie de Monsieur Dior), ou encore « Christian savait ce qu’il faisait en lui confiant notre publicité » (Suzanne Luling). Il est bel et grand homme (plus de 1,8 m), fier et conscient de son rang, et impressionne ses interlocuteurs, avec qui il lui arrive parfois de montrer un zeste de condescendance.

Les activités principales de son bureau de presse consistent surtout à gérer les photographes des grands magazines et journaux, mais aussi à procéder au placement des invités lors de la présentation des collections. Christian Dior le cite également dans ses mémoires : « A l’approche de la grande journée, le centre de la maison se déplace ; il abandonne le studio pour le salon. Le service de presse devient le cœur où bat l’impatience générale. Descendus d’un étage pour la circonstance, MM.de Maussabré et Donati campent maintenant à proximité du haut lieu. Un affreux problème se pose à eux ; il leur faut caser près de trois cents personnes dans deux pièces et un palier qui-en réservant l’étroit couloir des mannequins-en contiennent tout juste deux cents. » Puis, un peu plus loin : « Robert de Maussabré traverse le salon pour venir me conter le dernier drame qui l’oblige encore à modifier son plan ; je le tranquillise, puis l’abandonne pour aller à la boutique. »

Robert de Maussabré est appelé à voyager dans le monde entier en fonctions des présentations des collections dans beaucoup de villes en Amérique du Sud, en Amérique du Nord ou en Asie. Christian Dior écrit dans ses mémoires : « La petite équipe chargée de présenter à l’étranger la mode de la saison se compose de huit « jeunes filles » et de quatre habilleuses, accompagnées de M.de Maussabré ou de M. Donati qui dirigent le Service de publicité. » .

A la mort de Christian Dior le 24 octobre 1957 et pendant les premières années de Marc Bohan à la direction artistique, Suzanne Luling et Robert de Maussabré sont très proches et partent souvent en voyage ensemble.

Dans des textes autobiographiques publiés après sa mort elle revient souvent sur la personnalité de son collègue et ami : « C’est l’ homme le plus courtois, le plus délicat qui soit au monde. Il partage son temps entre ses terres, les fonctions de maire de son village et la direction de la publicité de la maison Dior. Aristocrate de la racine des cheveux à la pointe des orteils, il est à la hauteur lorsqu’il le faut. Toujours de bon ton, il sait faire face à toutes les situations avec élégance et à-propos. Lui pour qui la déférence est chose naturelle, qui réprouve tous les excès, qui vit au XXe siècle avec les préventions et les fidélités d’un homme du XVIIIe, sait, à tout moment, se rendre utile et agréable. En voyage, nous manque-t-il un « aboyeur » pour le défilé (rôle ingrat et ennuyeux), eh bien il n’hésite pas à se proposer. Alors que bien d’autres se récuseraient. Et de sa voix qui sait former et isoler les syllabes aussi bien en anglais qu’en français, il annonce les modèles. C’est un merveilleux ami. C’est la gentillesse même, non ? » Ce rôle important qu’il a joué dans la maison Dior est particulièrement méconnu en Gâtine, car ses différentes vies étaient bien cloisonnées.

La dernière facette est certainement la moins connue. Comme Christian Dior et comme son frère François décédé en 1937, Robert de Maussabré était un homosexuel très discret. Cela ne se savait pas beaucoup à l’époque parmi les gens de Saint-Loup ni dans la maison de couture. Toutefois certains de ses fermiers connaissaient cette situation.

Malade, il est absent du conseil municipal à partir de novembre 1964, jusqu’à la fin de son mandat le 27/03/1965. Il subit une très grave opération en novembre 1964 et décède le 20/06/1965. La presse locale loue l’homme dans ses rubriques nécrologiques. Sa sœur Gilberte, comtesse de Maussabré, hérite de tous ses biens. Elle disparaît, elle aussi sans héritier, en 1983, en léguant tous les domaines, les terres ainsi que le château à la Ligue nationale contre le cancer, mais avec une clause pour que les terres soient vendues aux fermiers. Le château est ensuite vendu à Chantal Goya et Jean-Jacques Debout, puis au propriétaire actuel Charles-Henri de Bartillat. La famille de Maussabré a marqué la région avec la création de laiteries, avec deux mandats de député, avec ses propriétés et ses deux châteaux, mais le dernier marquis est surtout connu ici pour son poste de maire pendant vingt ans, son statut de grand propriétaire terrien et pour la destruction du château de Soulièvres, mais son rôle important dans la maison Dior est tombé dans l’oubli et on lui doit d’avoir entretenu et restauré le château de Saint-Loup.

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